OSER LES PÉDAGOGIES DE GROUPE
Enseigner autrement afin qu’ils apprennent vraiment
par Jean-Paul Donckèle
Ce livre est à la fois complet et condensé.
Je vais essayer toutefois d’en résumer les grandes idées qui me semble-t-il
peuvent nous aider à mieux comprendre nos tâtonnements dans ce domaine… J.P.
Dockèle commence par revenir sur les précurseurs de la pédagogie de groupe qui
ont mis les élèves ensemble devant l’estrade et le professeur. Il nous montre
comment les enseignants ont construit une "pédagogie de la
simultanéité " et nous expose ses limites :
« Le
mode pédagogique fondé sur la simultanéité rejoint le monde individuel dans la
mesure où il aboutit à des contradictions entre les fins et les moyens. La
recherche d’homogénéité, condition nécessaire d’une pédagogie de la
simultanéité a tendance à augmenter le mimétisme des conduites, à creuser les
écarts entre les élèves de niveaux différents, c’est peu favorable au
développement de l’autonomie, c’est peu favorable aux obligations démocratiques
de l’école
de la République, et cela décentre singulièrement l’action pédagogique,
c’est le maître qui en est devenu l’acteur principal à la place de
l’élève » (page 16).
L’auteur va ensuite rappeler
rapidement, mais d’une manière exceptionnellement claire quelques conceptions
de l’apprentissage dépendant d’approches psychologiques différentes
(Chapitres 2 & 3) : la première conception considère l’élève comme une
cire molle qu’il faut modeler. Il montre que ce modèle de la "table
rase" ne prend pas en compte les représentations que les élèves ont déjà
construites et pose des problèmes (notamment des savoirs juxtaposés sans liens
qui ne sont pas réutilisés ensuite par les élèves). Il montre aussi
l’inefficacité des théories de Skinner et Pavlov qui veulent favoriser un
conditionnement des élèves.
J.P. Donckèle s’inscrit dans la
perspective des « théories constructivistes » qui insistent
sur le fait que pour plus d’efficacité des apprentissages, l’élève doit devenir
"acteur de la construction de son savoir". L’auteur nous
rappelle à juste titre la différence entre être acteur et s’activer… Il y a un
fossé entre des élèves physiquement actifs et des élèves en pleine activité
mentale (cognitive), en interrogation. Ces chercheurs insistent sur le fait que
les grandes découvertes viennent toujours d’un questionnement. Leur approche de
l’enseignement définit l’apprentissage comme la découverte de réponses aux
questions que les élèves se posent. En fait, il s’agit de travailler sur
les représentations déjà présentes, de les aider à construire les savoirs et
même parfois de déconstruire des croyances déjà installées… Pour cela les
enseignants mettent les élèves en situation d’avoir à résoudre un problème, de
confronter entre eux leurs représentations. C’est là que la pédagogie de groupe
va devenir importante, notamment parce qu’elle peut permettre « de tirer profit de points de vue
différents du sien ». C’est ce que les successeurs du chercheur Jean
Piaget appelleront "Le conflit sociocognitif ". La
situation dans laquelle les élèves sont placés et qui les oblige à
réinterroger, à réorganiser leur mode de pensée est appelée dans les recherches
actuelles "Obstacle épistémologique".
« Il est donc tout à fait opportun d’abandonner l’idée selon laquelle la connaissance progresserait dans la continuité, comme une caverne d’Ali Baba où s’accumuleraient, s’empileraient des trésors de plus en plus fabuleux et précieux. Connaître ce n’est pas emmagasiner toujours plus de savoirs, connaître c’est souvent renier ce qu’on a adoré, c’est déchirer plusieurs fois sa copie pour l’écrire autrement. Bref, connaître, apprendre, c’est changer ses références. Il convient donc de substituer à la pédagogie construite sur un programme toujours plus complet à voir dans l’année, une pédagogie de la rectification, de l’abandon, du deuil, voire de l’élimination, en tout cas de la déconstruction (page 49) ».
Finie donc, l’idée que les
choses ne marchent que si les élèves écoutent et y mettent du leur… Le défi
pour les enseignants devient donc d’aider les élèves à construire des savoirs
et notamment d’utiliser le groupe comme levier d’apprentissage.
Les chapitres suivants (Chapitres 4 & 5) s’attachent à expliquer comment faire naître un groupe et quel peut être le rôle de l’enseignant dans le groupe. Jean-Paul Donckèle rappelle qu’il existe des effets néfastes aux groupes qu’il convient d’avoir à l’esprit afin de ne pas avoir de problème. Il indique les quatre caractéristiques d’un groupe d’apprentissage :
« Un champ psychologique résultant des interactions
d’au moins quatre personnes en situation de face-à-face en vue d’atteindre une
cible commune : ce champ est bi-polaire, l’un des pôles est structuré par
les interactions de chaque membre avec la cible, l’autre pôle par les
interactions entre les membres (page 86) ».
Jean-Paul Donckèle montre l’importance de chacun de ces critères afin d’éviter des problèmes. Par exemple, l’obligation de face-à-face vient du fait qu’on cherche à favoriser les interactions dans le groupe. « La situation de face-à-face s’obtient lorsque l’interaction entre chacun des membres peut se faire sans la nécessité d’un intermédiaire (page 88) ».
Il insiste sur la nécessité de disposer d’une définition claire qui permette de tirer des conclusions afin de faire naître un véritable groupe. Une définition claire permet aussi de différencier la "pédagogie de groupe" du "travail d’équipe". En effet, et il me semble que cette distinction est importante, elle me semble utile pour dépasser les contradictions visibles dans les projets des écoles de musique entre une volonté d’un projet visible et la recherche d’apprentissages par les élèves. Selon lui, le travail en équipe implique une association en vue d’une production et aboutit généralement à une division des tâches, ce que cherche justement à éviter "la pédagogie de groupe"…
« L’équipe d’entreprise ou sportive qui
rassemble les meilleurs au meilleur coût à chaque poste, concentre l’énergie de
ses membres sur la tâche à produire en vue d’atteindre les objectifs annoncés.
Une équipe d’apprenants adopte le plus souvent une attitude analogue, ce qui
signifie que la production d’un bien ou d’un service est privilégiée, devient
la priorité, devançant la nécessité d’apprendre qui est pourtant la finalité
déclarée de l’organisation et de la démarche (page 85) ».
Il
convient de ne jamais oublier que le but visé est l’apprentissage… et Jean-Paul
Donckèle va proposer dans les chapitre 7 & 8, deux "modèles"
tirés de la pédagogie de groupe qui permettent d’y arriver.
Mais
avant (chapitre 6), pour les enseignants qui s’imagineraient qu’il suffit de
laisser les élèves seuls se débrouiller ou pour ceux qui ont peur que "les
pédagogues" ternissent le rôle de l’enseignant, l’auteur s’attache à
montrer l’importance de l’enseignant dans la "pédagogie de groupe" et
expose les différents (et nouveaux) rôles qu’il est amené à jouer :
Pour
débuter, l’auteur introduit justement la notion de "membrane" (page 100) pour illustrer ce qui se passe
dans un groupe. La membrane est ce qui isole le groupe, mais le protège tout en
assurant une unité au groupe. Si la membrane est trop faible, le groupe a
l’impression de ne pas être un "vrai groupe". Mais si la membrane
protège trop, le groupe risque de mourir asphyxié, faute de contacts externes…
Par ailleurs il existe des membranes dans le groupe. L’enseignant doit
se méfier des entités trop fortes qui peuvent aboutir à des clans. D’où la
nécessité de celui-ci, afin de favoriser un "brassage de
l’atmosphère". A l’inverse, trop de brassage empêche le groupe de se créer
des repères… L’enseignant est ainsi le garant de la "bonne santé" des
membranes. Il en existe aussi une entre lui et le groupe. Trop de proximité
génère de l’insécurité pour le groupe (hé oui ! cf page101), alors que
trop de distance désespère les élèves…
Trois
fonctions de l’enseignant ont été repérées et sont passées en revue :
1.
Fonction
de production : « Il
s’agit en situation d’apprentissage de produire des idées, des hypothèses, des
explications, des références, ce sont des lectures à faire et à communiquer,
des résumés à rédiger (page 106) ».
Dans ce cas, le rôle de l’enseignant est d’être "l’oreille active et
externe du groupe". Son rôle n’est plus de transmettre de la manière la
plus claire possible la vérité, mais de faire le point, retracer le parcours
accompli, reformuler, rappeler les buts, repérer les contradictions entre les
élèves, favoriser le conflit sociocognitif… L’auteur montre à ce niveau comment
le type de question posé aux élèves est très important.
Un point m’a semblé à ce titre très important. Il
concerne notre quête d’autonomie des élèves. L’auteur nous dit qu’utiliser la
pédagogie de groupe revient « à l’art de devenir inutile dans le
domaine de la production des savoirs, dans le champ du développement
cognitif des apprenants, c’est une autre façon d’envisager l’autonomie des
élèves et d’y tendre (page 108) ».
En d’autre terme l’enseignant essaye de s’effacer peu à peu de cette fonction
importante, ce qui ne sera pas le cas des autres fonctions ci-dessous.
2.
Fonction
de régulation : Elle
réside dans tout ce qui est réalisé pour que la fonction de production soit
remplie le mieux possible. Il n’est pas rare que se fasse sentir le besoin
d’adopter une méthode pour être plus efficace et optimiser l’énergie dépensée…
L’action de l’enseignant dans cette fonction est primordiale. L’élève qui
souhaite s’exprimer, formuler ses doutes, ses croyances, ses ignorances, ses
oppositions, doit s’appuyer sur un cadre clair et ne pas se faire
"descendre" à la première remarque… Il existe donc des points utiles
comme ne pas interférer avec la personne qui parle, ne pas la couper, s’interdire
tout jugement portant sur la personne qui s’exprime en vue d’apprendre.
« On
n’a pas toujours une bonne appréciation des risques que prend un apprenant qui
ose apprendre : il se fragilise, joue quasiment sa tête sur le billot à
chaque moment, prend le risque s’apparaître aux autres et à lui-même
« intelligent » ou « pas malin », « cultivé » ou
« ignare », « réfléchi » ou « écervelé ». Ce sont
des risques majeurs à l’endroit de l’estime de soi. Alors, il suffit d’un
propos ironique pour dissuader le plus aguerri de s’exprimer, il préférera
dorénavant garder son énergie pour se calfeutrer bien au chaud près du
radiateur ou pour amuser la galerie (page 110) ».
Il est important qu’existent des règles de vie du
groupe (de préférence écrites), qui, pour avoir du sens, doivent répondre aux
difficultés rencontrées au fur et à mesure et qui sont amenées à évoluer…
3.
Fonction
de régulation : Au cours
de la tâche, des tensions de nature affective peuvent se créer entre les
acteurs. Ces affects peuvent menacer la cohésion du système ou en tout cas
consommer une bonne part de l’énegie. Il est alors nécessaire que l’enseignant
agisse en vue « de créer et maintenir les conditions psychologiques
nécessaires à une bonne facilitation et une bonne production (page 105) ». L’enseignant doit donc utiliser des techniques de
régulation. Les diffcultés relationelles doivent être gérées au quotidien mais
peuvent faire l’objet de pratiques exceptionnelles.
« …
parfois, la parole est facilitée par la présence d’un "objet
transitionnel". J’ai souvent utilisé l’une ou l’autre technique
transitionnelle, je recommande par exemple la production d’un collage pour
"dire" ce qui va et ce qui ne va pas en ce moment dans le
"groupe". La technique est ludique et créative, elle prend du temps
mais c’est pour en gagner par la suite (page 111)».
Ces
trois fonctions sont imbriquées et parfois, une mauvaise organisation, de
mauvais choix de procédures aboutissent à des tensions relationnelles. Le
symptôme est relationnel, mais la régulation doit aussi vite s’effectuer au
niveau des procédures… L’auteur montre ensuite que, suivant l’histoire qu’a
vécue le groupe, les moments de régulation et leur nature peuvent changer.
Les
chapitres 7 & 8 se proposent de rentrer dans le détail de deux "modèles"
de la pédagogie de groupe. Entendons nous bien, le terme modèle ne
signifie pas "méthode à copier" mais outil d’analyse, outil
d’appréhension de la réalité. Les modèles permettent notamment de
"problématiser" l’origine et le fonctionnement de certaines
pratiques. Il permet d’en dévoiler le sens propre, la pertinence, de penser les
pratiques…
L’APPRENTISSAGE
PAR PROBLEME
Le
chapitre 7 examine l’A.P.P. (Apprentissage Par Problèmes).
Il s’agit de pratiques qui ont pour origine « la méthode de cas ».
Utilisée dans certaines entreprises, la méthode de cas consistait en la
création pour des étudiants de situations résumant certaines difficultés
rencontrées. Ceux-ci devaient ensuite « analyser la situation,
identifier le problème posé, ensuite apporter des solutions (page 128) ». L’auteur indique les avantages en terme de
motivation apportés par cette méthode. Il pense toutefois qu’elle s’inscrit
trop dans la continuité des méthodes traditionnelles, et continue de penser en
terme d’application suivant le cours magistral (on vérifie que l’on sait),
alors que l’auteur prône un changement complet de "paradigme", de
modèle théorique. Par ailleurs, elle fait la part belle aux leaders d’opinion
et ne favorise donc pas l’apprentissage par chacun. "L’Apprentissage par
problèmes", utilisé au départ dans l’enseignement de la médecine, doit
apporter ce changement radical. Il ne faut pas le confondre avec le simple
problème (comme en mathématique).
Voici
l’itinéraire des élèves après qu’on leur ait soumis une « situation-problème"
(Pro-sit) et dont l’auteur détaille et justifie l’importance des
étapes :
1. Répartition des rôles des
élèves :
- l’animateur (garantit la libre expression, la
répartition du temps de parole, gère la réunion),
- le scribe (mémoire écrite),
- le secrétaire (synthétise, écrit au tableau),
- l’intendant (attention portée au climat du
groupe).
(L’enseignant est tuteur du groupe, il a conçu le
problème, établi l’arbre des objectifs, il n’intervient que sur le processus
mais pas sur le contenu pour ne pas entrer en concurrence avec la tâche d’un
élève, par exemple, l’animateur…).
2.
Analyse
du problème à la formulation des objectifs d’apprentissage :
- lire le prosit et clarifier les termes
donnés,
- définir les problèmes,
- analyser les problèmes,
- organiser les hypothèses explicatives,
- formuler les objectifs d’apprentissages.
3.
Etude
individuelle :
- avec une bibliographie,
- en médiathèque, bibliothèque,
- avec des experts,
- et autres supports d’informations.
4. Synthèse et vérification des
informations recueillies, validation des hypothèses :
5.
Evaluation :
-
évaluation
du rôle de tuteur du prof. Evaluation du travail de groupe, des rôles (qui
permet notamment un travail de chacun sur la manière dont il est intervenu dans
le groupe…),
-
auto-évaluation
formative (évaluation individuelle impérative),
-
perspective
de recherche à prolonger.
Ces
nouvelles situations apportent des points positifs importants :
-
le prosit est très contextualisé, il produit chez les élèves une forte
impression de réalisme. Il est "crédible" et crédibilise ainsi
la recherche à mener. Les élèves trouvent du sens à entrer dans la
recherche et leur motivation est entière ("motivation
intrinsèque" et non "extrinsèque" comme les notes…). « Et
qu’est-ce qui donne sens à apprendre, sinon le fait de constater qu’on ne sait
pas et de s’engager à le découvrir : le sens d’apprendre réside dans la
conscience de l’ignorance et dans l’opportunité de savoir, le sens de
l’apprentissage c’est de trouver l’explication qui nous fait défaut à ce qui
nous fait problème. Ça n’a pas de sens d’apprendre à propos de ce qui se donne
d’emblée comme évident. Tout le charme de la littérature policière est dans
l’énigme (…) page 144 ». Le
prosit doit laisser un certain flou qui le rapproche des problèmes réels mais
qui oblige surtout les élèves à formuler eux-mêmes les problèmes qui ne se
donnent pas d’emblées. La "problématisation" est donc aussi un
objectif d’apprentissage.
-
La recherche des problèmes puis ensuite la confrontation des recherches
individuelles permettent un véritable "conflit sociocognitif",
une mobilisation de leurs connaissances antérieures, une déconstruction de
leurs opinions, de leurs représentations. « Il y a décristallisation
suivi d’une recristallisation hypothétique, les certitudes ou les ignorances se
transforment en hypothèses de recherche dont le point d’aboutissement est la
formulation des objectifs d’apprentissages (page 143) ». Puis une reconstruction de leurs savoirs (On est
bien dans une démarche constructiviste…).
Ces
situations posent un certain nombre de problèmes concrets, notamment comment
éviter les stratégies des élèves qui trouvent toutes sortes de moyens pour
aboutir aux réponses tout en contournant les apprentissages (par exemple, en se
répartissant les tâches en fonction de leurs compétences déjà acquises…) ou les
peurs des enseignants (trop en dire, trop tôt...). L’auteur nous donne quelques
astuces afin d’y remédier. L’important est de ne pas dénaturer la situation et
de permettre l’apprentissage par tous.
Nous
voyons bien qu’il s’agit là de situations radicalement différentes qui
nécessitent de réunir de nouvelles conditions d’enseignement. Ces éléments
permettent « de saisir le rôle éminemment subversif des
pédagogies de groupe, lorsqu’elles apparaissent dans une institution, le
sacro-saint emploi du temps, construit sur des principes bureaucratiques, qui
fixe préalablement le temps imparti à chaque apprentissage pour chaque acteur,
vole en éclat. L’étape que je viens d’illustrer dure plus ou moins une heure
trente : c’est la tâche qui décide, le temps d’aboutir aux objectifs
d’apprentissage devient l’instrument de mesure (page 143) ». Ces situations problèmes ont été testées à plusieurs
reprises chez les jeunes enfants (après le stade de la lecture) et s’avèrent
aussi efficaces avec les élèves en difficultés.
LA
PEDAGOGIE DU PROJET
Le
chapitre suivant (8) examine le modèle de la pédagogie du projet, héritage de
« l’éducation nouvelle » (Decroly, Dewey…). L’auteur commence par
éclaircir les définitions du terme "projet" qui peut avoir plusieurs
sens :
-
1.
les finalités de l’action éducative. On parlera alors plutôt de "projet
éducatif",
-
2.
le "projet personnel". Il s’agit d’un véritable projet de vie qui
vise la réalisation de soi,
-
3.
le projet comme procédures pédagogiques. Il s’agit de la pédagogie du projet
(ou par le projet).
C’est
cette dernière voie que va explorer l’auteur. La pédagogie du projet se
distingue de l’utilisation usuelle du terme projet dans le fait qu’il ne
s’agisse pas d’un souhait, d’une intention, ni même d’un essai, d’un brouillon
(projet de loi…). « Le projet s’entend comme tâche à réaliser (…) Le
projet est une tâche, définie et réalisée en groupe (page 159-160) ».
En
effet, bricoler seul dans son atelier le dimanche ne peut être considéré comme
un "projet". L’auteur insiste sur le fait que ce qui conditionne
l’appellation (malheureusement trop facilement octroyée) :
-
C’est
que la tâche soit réalisée par l’ensemble des membres du groupe, en totalité et
jusqu’à son terme.
-
Plus
encore, il faut que ce soit le groupe lui-même qui définisse le projet. Il
n’existe donc pas d’autorité externe qui déciderait pour le groupe, réduit aux
tâches subalternes et parcellaires de l’exécution..
Concrètement,
l’auteur n’interdit pas aux enseignants des suggestions de départ aux élèves… « Mais
pour que ces suggestions se transforment en projet, il convient qu’elles
fassent l’objet de discussions au sein du groupe de pairs et qu’il y ait une
reformulation collective et une adhésion de chacun des membres (page
161) ».
-
le
projet doit être une production. Il existe donc une manifestation du
travail effectué et une communication à l’extérieur du groupe ce qui
implique que…
-
…
le projet doive être « socialement utile ». En plus de
"l’utilité pédagogique" qui résulte des apprentissages qu’ont
construits les élèves pour la réalisation du projet, il est nécessaire que le
projet rencontre des besoins extérieurs au groupe, qu’il existe un commanditaire
qui ait besoin que le projet se réalise.
L’auteur
étudie ensuite les avantages et les inconvénients de ce type de pédagogie et
notamment en regard avec l’autre modèle développé plus haut : le fait que
la "cible" soit bien visible favorise la focalisation de l’énergie.
Le projet donne du sens à l’action et augmente les chances d’apprentissage. Ce
modèle permet aussi d’arriver à un résultat plus performant que la somme des
individus…. L’existence d’un contrôle externe évite parfois au groupe les illusions
de toute puissance et des projets utopiques ; « pour
dire les choses avec le jargon de la psychanalyse, le principe de réalité se
trouve remarquablement incarné par la pédagogie de projet par le fait du
commanditaire extérieur au groupe, lequel assure les régulations du réel aux
envolées vers les délices du seul principe de plaisir (page 162-163) ». En même temps, le fait que le groupe soit toujours
sous pression, soumis comme il est au contrôle de l’utilité sociale favorise
une division des tâches en fonction de ce que les personnes savent… déjà
faire !
En
fait, la pédagogie du projet est meilleure pour obtenir un groupe efficace,
optimum, que pour obtenir un "groupe d’apprentissage"… Par ailleurs,
la motivation obtenue est extrinsèque, dépendante de la logique de l’action et
de son résultat et non liée au simple fait d’apprendre comme dans le précédent
modèle… Les savoirs ne sont pas recherchés pour eux-mêmes mais dans la mesure
où ils seront utiles à la mise en œuvre du projet…
Sur
le plan cognitif, « la connaissance s’élabore et se construit à partir
des nécessités du projet, elle a donc toutes les chances de s’enraciner dans
les représentations des acteurs, d’en permettre une analyse visant à en établir
les limites et les lacunes qu’il devient alors aisé et sensé de combler ou de
reculer. Le projet a donc un effet analogue au problème, il aboutit à rendre
indispensable le détour par l’apprentissage intellectuel pour accroître le
pouvoir d’agir sur la réalité. L’inconvénient du système est analogue à
celui que Comenius dénonce dans la critique qu’il entreprend de la formation de
l’apprenti par son compagnon. Il se peut qu’on apprenne à l’occasion du projet,
il se peut aussi que l’on soit engagé dans ce projet parce qu’il requérait des
capacités qu’on avait déjà (page167) ».
Quoi
qu’il en soit, la pédagogie du projet s’oppose à toute perspective
d’enseignement qui définit des objectifs selon une progression rigoureuse qu’il
s’agirait de suivre scrupuleusement… ou même qui compterait suivre un programme
rigoureusement défini… En effet, le projet est l’expression d’une volonté
collective. Et « il est loin d’être acquis d’avance que ceux-ci (les
élèves) s’orienteront vers les objectifs que leur place dans l’institution
scolaire a prévus pour eux (page 167)»…
Cette pédagogie a souvent été dénaturée par les enseignants, notamment en
voulant substituer des objectifs institutionnels au principe de la volonté
collective… Par exemple dans certaines écoles qui imposent aux étudiants la
recherche de commanditaires qui garantissent l’utilité sociale du travail
effectué… Notamment parce que cela permet d’attirer sur ces écoles l’attention
des commanditaires… Du coup, les apprentissages ne sont pas garantis… On
aboutit souvent à une "pédagogie
schizophrénique : « D’un côté, une pédagogie magistro-centrée (centrée
sur le maître), pure et dure, exclusivement théorique, conduite par des
enseignants titulaires et de l’autre, une pédagogie de projet, tournée vers
l’action concrète, animée parfois par des intervenants extérieurs, les deux
approches cohabitant en s’ignorant dans le meilleur des cas (page 169) ».
En
conclusion, la pédagogie de projet est un excellent modèle pour apprendre à
réaliser, à entreprendre mais le modèle convient moins pour ce qui est de
"la raison constituée". « Il y a même imcompatibilité
entre les principes qui fondent la pédagogie de projet et ceux qui aboutissent
aux savoirs établis en programmes qu’il convient d’acquérir ; il s’agit
bien de deux paradigmes, de deux philosophies du savoir et de l’action, pour
les associer il faut que les uns ou les autres soient dénaturés (page
169) ».
LE
CHANGEMENT…
Le
dernier chapitre (9) concerne "le changement". Comment changer ?
On aura compris que l’auteur prône un changement radical de
"paradigme". À plusieurs reprises, il a montré comment l’enseignement
traditionnel "récupérait" parfois les idées neuves afin d’essayer de
motiver davantage les élèves. À chaque fois, cette récupération dénaturait ce
qui faisait la véritable originalité de la méthode. De plus, l’auteur considère
que cela ne fait que reculer le moment où il faudra franchir le pas…
Celui-ci
montre que changer d’enseignement est difficile… Souvent, il ne s’effectue que
parce que l’institution est en danger de mort… Au moins faut-il un bon
diagnostic qui montre que les choses ne peuvent pas continuer en l’état. Mais
ce diagnostic, qui doit être partagé par l’équipe, se confronte souvent aux
résistances de certains. Se vérifie souvent l’adage comme quoi, c’est toujours
l’autre qui serait bien avisé de changer (élèves, parents, administration,
collègues…). De toute manière, il convient pour un véritable changement
d’aborder le problème sous l’angle du système et non des acteurs. Il faut donc
montrer que le "point de non-productivité" est atteint. Que les
services délivrés finissent par devenir un obstacle même à la réalisation des
objectifs mêmes qu’on est censé atteindre ! Et qu’un nième replâtrage sera
plus nocif qu’un véritable changement de système.
Pour
accepter un changement, il faut aussi entrevoir une alternative, pouvoir se
projeter dans un «futur proche » et voir quelques avantages qui pourront
en être tirés. Une alternative est un projet avantageux et réaliste,
porteur de sens. Il faut à ce titre parfois accepter de ne pas tout changer
d’un coup afin de rendre le nouveau système acceptable (enseignants mais aussi
parents et enfants…). Le changement ne se fait jamais sans les enseignants. Une
pression par le haut n’arrive bien souvent qu’à renforcer les résistances
existantes… Or les enseignants se sont forgés une place dans l’organisation
qu’il leur est difficle de quitter, ce qui fait qu’ils privilégient les
adaptations plutôt que les changements radicaux.
On
constate par ailleurs que les institutions se servent souvent des enseignants-innovateurs
comme vitrine et que ceux-ci servent souvent d’alibi à l’immobilisme. Le
véritable changement concerne l’institution entière, son organisation et ne
peut se faire sans l’acceptation et l’encouragement des personnes chargées du
pouvoir de décision.
Les
recherches ont montré par ailleurs que les résistances au changements
viendraient aussi de l’attachement des enseignants aux normes du groupe.
Il faut donc permettre aux enseignants d’interroger ces normes, ces préjugés,
peurs de déroger à des lois implicites… Ces peurs cadenassent le système et des
temps de paroles peuvent permettre de mettre à plat ceux-ci avant de
reconstruire d’autres règles. L’auteur nous dit que la meilleure situation afin
de permettre cette prise de conscience des déficiences et de se représenter
l’état désiré et les avantages qui pourraient en découler est la situation de
formation de l’ensemble de l’équipe. Par ailleurs, l’auteur nous invite
fortement à "être accompagné". Cela se pratique peu car « Lorsqu’on
croit détenir le savoir, comment imaginer qu’il puisse venir d’ailleurs que de
soi-même (page 191) » alors que
cela s’avèrerait bénéfique…
Les outils présentés dans ce livre me semblent très utiles pour la compréhension de ce qui se passe dans certains cours collectifs de nos écoles de musique. Il aide à comprendre ce qui se joue et peut nous permettre d’améliorer nos pratiques. Ces considérations (surtout le chapitre 6) me semblent aussi apporter beaucoup d’éclaircissements en ce qui concerne les équipes pédagogiques. Il me semble que les notions présentées s’appliquent aussi aux collaborations entre enseignants ! Jean-Paul Donckèle propose de nombreux exemples qui éclairent particulièrement bien ses propos. Il propose à la fin de chaque chapitre des "post-scriptum" qui synthétisent ceux-ci. Les concepts sont exposés de manière accessible et le livre donne de bons outils… Personnellement, ce livre m’a permis de percevoir des aspects importants de la vie des équipes pédagogiques et j’espère pouvoir ainsi améliorer mon travail avec mes collègues. Par ailleurs, il m’a permis de voir de manière rigoureuse et pratique, en quoi l’emploi du groupe peut permettre un fort engagement des élèves dans le processus d’apprentissage, les rendant peu à peu plus autonomes. Enfin, le chapitre sur les conditions d’émergence du changement est rassurant… et permet toutefois d’envisager des évolutions…
Je serais très heureux de discuter avec ceux qui auront lu ce livre ou simplement qui réagiraient à cette simple fiche de lecture, forcément un peu "rébarbative" sans l’humour présent dans l’ouvrage…
Vincent MAGNAN
Pour l’A.M.E. (2006)
Editions Erasme, Namur
(Belgique), 2003
Collection
Pédagogie/Formation/Synthèse
198 pages, prix éditeur :
19,50 €
N° ISBN : 2-87127-798-2
4ème de Couverture
OSER LES PEDAGOGIES DE GROUPE
Enseigner autrement afin qu’ils apprennent vraiment
par Jean-Paul Donckèle
C'est plutôt la règle, que
l'exception à la règle, qu'un « apprenant » d'aujourd'hui puisse
aller au terme de son parcours de formation sans connaître d'autre modèle
pédagogique que le traditionnel face à face avec l'enseignant ou le formateur.
La recherche en sciences cognitives a largement établi que ce
modèle n'est ni pertinent pour apprendre en général, ni pour apprendre à vivre avec
les autres en particulier.
Le propos de l'auteur vise
à outiller en moyens et méthodes les enseignants et les formateurs qui auraient
le souci de transformer les rassemblements d'élèves ou de stagiaires en
d'authentiques groupes d'apprenants. Ce livre vise notamment à établir
la double pertinence groupale et cognitive de deux
modèles pédagogiques : l'apprentissage par problèmes et la pédagogie
du projet.
Ne manquez pour autant le
dernier chapitre, il concerne au premier chef ceux qui désirent
changer… Changer de pédagogie en changeant les contextes institutionnels
dans lesquels elle s'exerce.
L'auteur
:
Jean-Paul
Donckèle, docteur en sciences de l'éducation, psychosociologue,
philosophe, dirige l'Institut de recherche, d'animation, d'accompagnement
psycho-pédagogiques (I.R.A.A.P.P.), dont la spécificité est d'intervenir en vue
de former aux pratiques pédagogiques dont l'acteur principal est le groupe des
apprenants.
Les ARPEC (Associations régionales de promotion -
enseignement catholique) de
Lille, Poitiers, Orléans, Besançon, Marseille, la
ville de Luxembourg ainsi que l'Université de Lille, et le Ministère de la
Justice accueillent régulièrement des stages animés par l'auteur.
Table des matières de ce livre
OSER LES PÉDAGOGIES DE GROUPE
Enseigner autrement afin qu’ils apprennent vraiment
par Jean-Paul Donckèle
Chapitre 1 : L'introuvable pédagogie de « groupe »
Chapitre 2 : L'introuvable apprentissage
Chapitre 3 : Quelques conditions nécessaires pour apprendre
Chapitre 4 : De la naissance du « groupe » dans la classe
Chapitre 5 : Spécificités du « groupe d'apprentissage »
Chapitre 6 : De l'enseignant qui enseigne à l'enseignant qui
anime
Chapitre 7 : L'apprentissage par problèmes, un modèle abouti
de pédagogie de groupe
Chapitre 8 : La pédagogie du projet : l'autre modèle « presque
abouti »
de pédagogie de groupe
Chapitre 9 : Et si on changeait de pédagogie ? Mode d'emploi
pour
changer vraiment
Conclusion
Mots Clés
Pédagogie
de groupe
Apprentissage (p.21 &
37)
Fonctions de l’enseignant
(p.99)
Situation problème
(p.127)
Conflit socio-cognitif
Changement (p. 175)
Concepts développés
Groupe (p. 7)
Membrane (p. 100)
Projet (p.157)